Marc Tanguy
Marc Tanguy est un peintre français né en 1959 à Paris. Il a étudié à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris où il fut élève de Zao Wou Ki. Il a participé à de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Sa peinture a le goût des harmonies colorées. Ses paysages montrent sa fascination pour le vivant et son émerveillement pour la Nature. Il aime l’histoire de l’art et les peintres qui l’ont faite, les vénitiens de la Renaissance italienne, les Fauves, les expressionnistes allemands entre autres. C’est la visite d’une exposition de Pierre Bonnard au centre Georges Pompidou dans les années 80 qu’il définit comme un choc et qui sera déterminante dans sa manière de peindre.
Sa touche vibrante, dotée d’un lyrisme expressif se retrouve dans ses paysages qui accrochent la lumière. Marc Tanguy est un peintre qui se plaît à relier art contemporain et tradition, à travers une discipline qui va se nourrir d'histoire de l'art, de vision naturelle, d'abstraction et d'invention.
Entretien avec Marc Tanguy (février 2022)
De quelle région es tu? Quel est ton parcours?
Je suis né à Paris, mon histoire n’a rien d’exceptionnel : famille modeste, père ouvrier menuisier, mère au foyer, pavillon de banlieue, tout près des immenses champs de betteraves de blé ou de maïs, puis venue à Paris pour le lycée, et écoles d’art. Mon environnement familial ne savait rien de la peinture que j’ai découverte tardivement, ou parfois de façon détournées sur les boîtes de chocolat, ou les beaux timbres-poste Matisse. Mais j’avais soif d’images, et je dévorais des bande dessinées, et contemplais avec vénération certaines couvertures de livres de poche.
De l’enfance, j’ai pu bénéficié de calme, de bienveillance, et d’un jardin. J’y ai développé un amour du vivant, des formes végétales et des couleurs. J’ai eu une période naturaliste, et entomologique, en collectant les animaux, de toutes sortes, que je cherchais à adapter, lorsqu’ils ne venaient pas par leur propre moyen : grenouilles, salamandres, hérissons, insectes, poissons, etc. Un vrais zoo miniature, mais sans les enfermer. J’avais déjà un sens aigu de l’écologie (l’écologie scientifique) : la relation du vivant avec son environnement.
Les papillons me fascinaient, et j’étais là pour le coup moins écologiste, puisque je les collectionnais épinglés dans des boites vitrées (je récoltais aussi les chenilles pour suivre leur métamorphose). Et c’est peut-être auprès d’eux, en les étudiant, que j’ai maintenant ce goût pour les harmonies colorées.
Le vivant et ses processus m’ont toujours fasciné. J’ai sans doute développé inconsciemment des façons de faire similaires dans ma peinture. Hasards et nécessités. Une part instinctive, un peu animale peut-être, est présente dans la peinture.
Et puis l’Histoire, dont il me semble que j’ai été privé. La peinture m’a donné le sentiment de pouvoir participer à mon échelle à l’Histoire, de me raccrocher à quelque chose qui manquait. Les banlieues sont vides d’Histoire, ce sont des lieux d’oubli, en tous cas dans les années 60, où ses habitants, émigrés ou non, ne voulaient qu’une chose : oublier la guerre et avoir une vie « sans Histoire ». La peinture est un formidable moyen de voir l’Histoire, elle en cristallise l’essence.
Je peins vraiment depuis les années 80, au sortir de l’école (ENSAD et ENSBA), auparavant, je dessinais beaucoup, entre autres activités. Il y a eu une double révélation : d’une part un voyage à Venise, la peinture vénitienne (Bellini, Giorgione, Titien, et les suivants...) et puis l’exposition Bonnard de 1984 au Centre Pompidou, sans parler du Louvre et de Paris, qui offrent un panorama vertigineux sur l’histoire de l’art et l’art d’aujourd’hui. Mais Bonnard a été déterminant, c’était un vrai choc, celui de la couleur (retrouvée, sublimée ?) et aussi celui de la somptueuse poésie que recèle la peinture vénitienne.
Par quel type de sujets as-tu commencé? + les évolutions, les différents thèmes, quand, pourquoi? etc...
J’ai commencé par dessiner et peindre ce que je voyais, de façon très classique, assez anachronique, à la façon de Corot ou Chardin, avec une arrière pensée naturaliste : celle des illustrations des encyclopédies. Des paysages d’Italie, des coupes de fruits, des portraits... D’un autre côté, j’étudiais les autres artistes, morts ou vivants. J’essayais de les comprendre de l’intérieur. J’ai beaucoup expérimenté : peinture figurative, abstraite, assemblages, verre, goudron, photos, résines, pigments. Expressionnisme, abstraction gestuelle, pop art, je jouais avec les manières. Sans vraiment d’intention, juste avec l’envie d’explorer et de comprendre.
Quelles sont les régions que tu aimes peindre?
Pas de régions particulières, juste des « appels » visuels : lumières, espaces, couleurs. Alors bien sûr, plutôt les paysages qui accrochent la lumière, comme les montagnes, ou la couleurs comme les pays du sud. Mais en général, il faut que je sois en condition d’immersion, avoir du temps et me sentir en accord avec le lieu. C’est le plus important, le reste suit.
Quelles sont tes influences?
Tous les peintres d’une façon où d’une autre, mais surtout les coloristes. Bonnard, Vuillard, Diebenkorn, Peter Doig dans années 90, Tom Thomson, les fauves et les expressionnistes allemands...
Quelle est ta couleur préférée?
Pas une couleur, mais des relations de couleurs entre-elles, c’est infini.
Qui sont tes artistes préférés?
Parmi les peintres : L’histoire de l’art est infinie, chaque artiste apporte son univers particulier, mais disons Corot, Titien, Bonnard, et chez les artistes récents, les grands pastels sur toile de Monique Frydman, certaines choses d’Olivier Debré ou de Zao Wou Ki, de Kirkeby, mais c’est tout aussi infini.
Sinon, bien sûr, il y a les livres, les films, les séries et la musique…
Comment définirais tu ton style?
Le style, c’est un peu comme la reconnaissance d’une écriture en graphologie. C’est en grande partie inconscient. Je ne sais pas ce qui fait l’unité de mon travail, sinon probablement un certain rapport au monde, une écriture particulière, une relation avec la matière, une façon de bouger… c’est très physique le style.
Quels sont tes médiums et supports de peinture préférés?
L’huile pour la précision des couleurs et des passages, l’acrylique depuis quelques années pour la spontanéité, les pigments purs pour connaitre la véritable nature matérielle des couleurs, la toile de lin, le papier Arches pour les aquarelles… j’expérimente avec les pigments et la toile de lin brute, un peu comme on le ferait avec du papier, le monotype également, autant sur toile que sur papier. J’ai également travaillé l’aquatinte « monotype » en couleur, gravé sur cuivre. C’est une technique longue et complexe, sur plusieurs plaques imprimées successivement. A la fois très controlée et improvisée, un peu comme le jazz.
Combien de temps cela te prend-il pour peindre un tableau (inspiration, trouver le sujet, changement d'avis, arrêt pendant un certain temps puis reprise...)
C’est impossible de répondre avec précision : chaque tableau est unique dans son processus. Il peut venir vite, en quelques heures, ou bien rester en suspens des années à l’atelier, retravaillé ensuite puis de nouveau mis de côté. Je crois que mon record est de 23 ou 24 ans ! Mais c’est assez courant chez les peintres.
Je travaille aussi en « séries » de variations sur un motif ou un thème particulier.
Quelles sont tes autres activités?
J’enseigne la peinture à l’ENSAD (arts décos), à Paris depuis 2007. C’est un échange très stimulant et rafraichissant.
Pourquoi est-ce que tu peins?
Par choix, par habitude, par passion, par nécessité, par ambition, par plaisir, par amour…?
Pourquoi exposes tu à la galerie A Tempera?
C’est une curieuse coïncidence : Pierre Coquet et Françoise Juvin habitaient à 200m de chez moi à Belleville. Tu me les as fait découvrir, et j’ai tout de suite été conquis, surtout par la peinture de Françoise Juvin. J’aurais pu les connaître. Avec eux, il y a aussi cette parenté avec Truphémus que je projetais de rencontrer à Lyon avant qu’il ne disparaisse.
Le lien est invisible, le fil cassé, mais il est bien réel : une tradition de peinture sans prétention, mais ambitieuse, connectée à l’histoire de l’art, une simplicité, une relation au réel chez ces peintres qui ont œuvré modestement et imperturbablement. On peut appeler ça l’authenticité, et ça me touche infiniment. Je pense qu’on la trouve dans ta galerie.